Appartement de Zora

Ce qui impose tout de suite en respect est la hauteur inimaginable de l’immeuble. A vrai dire, je tiens toujours à ce qu’il soit propre et lavé, bien que l’immeuble ne m’appartienne en aucun cas. Heureusement que je ne suis pas aussi radine que Raphaël, mon frère dont je me suis toujours souvenue une avidité sans égal, et que je dépense sans vraiment regarder pour des causes que je croie juste –enfin une fois que ça avoir avec quelque chose qui m’appartient évidemment. Mais que puis-je dire sur ma famille qui ne s’applique pas à moi-même ? Rien en tout cas. Toute la façade est en verre qui réfléchit agréablement la lumière du soleil, qui est d’ailleurs un des arguments de vente qui m’a convaincue d’habiter ici. Presque aucun rai de lumière ne traverse cette véritable muraille, pourtant tout est éclairé agréablement d’une lumière diffuse. La chaleur en est tout aussi soutenue, une tiédeur est commune à tout l’endroit, que ce soit en hiver ou en été, mais quelques chauffages sont disposés là et ça à la portée du premier frileux de service.

Ma chambre se trouve au dix-septième étage. Tiens, aurais-je dit ma chambre ? Mon appartement en fait, mais comme la chambre est un des endroits les plus importants de mon existence, seul lui compte à mes yeux. De là-haut, la vue doit être magnifique me direz-vous. Et bien... je dois vous avouer que cela est sûrement la dernière chose à laquelle je m’intéresse. Revenons plutôt à mon domaine... Après un déambulement léger dans plusieurs couloirs, il y va de soi qu’il y a un ascenseur pour les personnes habitant à des étages un peu trop haut ou tout simplement pour les gens qui sont souvent obligés de travailler tard dans la nui et qui son trop fatigués pou monter les escaliers. Comme je fais partie de ces deux catégories, il n’est sûrement pas obligatoire de vous dire que je l’emprunte... On pourra remarquer au passage la propreté absolue des murs qui sont d’un blanc crème ressemblant un peu trop à mon goût à du vomi de bébé... mais à part ça... passons.

Après une petite minute passée dans l’ascenseur dans lequel se joue une douce musique, on peut enfin sortir et admirer la couleur bleue pâle des murs. Semblable au ciel, savoir qui habite cet étage devient soudain évident : une personne rêveuse qui attend autre chose qu’une couleur blanche vomi de bébé sur les murs et qui dépense sans vraiment compter lorsque son confort est en jeu, en clair vous l’avez bien deviné : moi. Je ne suis pas orgueilleuse, mais j’espère tout de même que l’on me reconnaîtra dans cet endroit qui semble soigneux et même déjà un peu aérien. Au détour du couloir, la porte de mon territoire trône comme un avertissement. Vous ne trouverez pas de sonnette, et je vous laisse deviner pourquoi. Le seul indice qui laisse des traces de cet instrument du péché –enfin cela dépend des points de vue- est quelques fils qui dépassent d’un trou dans le mur. A vos risques et périls de me déranger.

J’ouvre la porte et la visite continue. L’appartement rayonne tellement il est propre –ce qui est assez étonnant pour les personnes qui me connaissent. On débouche d’abord sur une petite entrée où se trouve un portemanteau étrangement bas. Normal : à force de jeter toutes mes affaires sur mon portemanteau, il a fini par s’user et tout récemment j’ai dû couper toute une partie qui menaçait de céder. Il n’y a pas d’endroit pour ranger le parapluie comme de toute façon je n’en possède pas. Vu que je sors plutôt rarement de la morgue ou même de mon appartement lors de mes journées de congé, je n’en vois pas vraiment l’utilité. De toute façon je vais être mouillé, alors autant que ce soit complètement.

Sur la droite, quelques pas plus loin, il y a un bureau derrière une porte en chêne qui est continuellement ouverte. Quel type de décoration s'attendrait-on à trouver en pénétrant dans le bureau de mon honorable personne, de cette petite légiste fougueuse qui travaille d’arrache-pied. Que pourrais-je réserver à mes visiteurs si ce n'est qu'une pièce spacieuse où chaque parcelle déborde d'un faste ostentatoire ? Celui qui s'attache à ces à priori populaires sera probablement surpris…

Bien que le bureau soit effectivement vaste, il serait stupide de m'attribuer la plus petite pièce d'un appartement qui en possède tant quand on en a le choix, la décoration ne s'avère des plus classique, voire même accueillante.
Essentiellement composée de boiseries vernie, la salle est chaleureuse, l'atmosphère y est agréable. Des effluves de bois mêlées aux effluves des vieux livres, je semble avoir une obsession pour les "premières éditions", qui se succèdent sur les étagères d'une grande bibliothèque, qui viennent caresser doucement vos narines à votre entrée.
Face à la porte, derrière une fenêtre encadrée de rideaux violets foncés qui donne sur le parc, se trouve un large bureau de chêne accompagné de trois confortables fauteuils de velours assortis. Le premier représentant mon trône et les deux autres étant destinés à mes "invités".

Un ordre impeccable règne en ce lieu. Tout est là où il devrait être. Serait-ce fidèle à l'image d'une personne rigoureuse et soucieuse du paraître ? Fais-moi rire ! Certains éléments décoratifs peuvent démentir cette idée.
On peut discerner des objets "personnels" dans la bibliothèque qui s'étend sur un mur entier. Tout le bas est réservé aux ouvrages scientifiques et philosophiques, provenant de l'édition d'origine, dans la mesure du possible, bien évidemment. En revanche, les étagères du haut sont vides, pas parce que je n’ai pas des choses à mettre, mais bien parce que je n’avais aucune envie d’y mettre quelque chose qui m’oblige à me bouge pour l’obtenir. Tout est donc au moins à ma hauteur et si pas, peut-être une étagère juste au-dessus. A l’hauteur de ma main se situe une collection inimaginable... de crânes humains. Ils sont rangés dans une fantaisie douteuse, du plus petit au plus grand.

Retour à l’entrée et on se dirige dans un couloir qui tourne vers la gauche. Là on arrive à la pièce central de ma vie, mon existence, mon être tout entier : ma chambre. Pas de porte, pas de mur, on y déboule tout simplement. Le meuble qui frappe d’abord est indubitablement mon lit. Haut d’au moins deux mètres, c’est un lit baldaquin avec des rideaux de couleur bleu foncé. Les boiseries sont en bouleau, donc un bois clair qui jure tellement avec le bleu que cela en devient beau et original. Le matelas doit faire trente centimètres d’épaisseur et est rempli des meilleures plumes d’oies que j’ai pu trouver. Les draps, à n’importe quel moment de la journée, bien qu’ils soient fins et délicats, sont toujours en boule sur ma litière. Je n’ai jamais eu le courage de bien les mettre et de les plier et comme je suis au lit la plupart du temps, personne n’ose y toucher. Mais s’ils osaient un jour...Je jure de les tuer ! Un lit c’est sacré ! Je n’ai pas envie que ses malpropres touche à mon saint sanctuaire ! J’ai ma fierté tout de même...

Juste à côté du lit se trouve une table de nuit, en bouleau également, sur laquelle prônent divers objets dont beaucoup sont d’utilisation insolite ou saugrenue. C’est ainsi qu’on peut trouver des épilateurs de sourcils, ou des pompons roses qui viennent sûrement de bics, dont je n’ai jamais retrouvé la trace d’ailleurs, ou même... du chocolat, des sucettes, des bonbons en réglisse... Tiens la télécommande ! Je croyais l’avoir perdue... Je vais la ranger pour la retrouver –c’est-à-dire que j’ouvre un tiroir, je mets la télécommande dedans et je le referme : chacun son mode de rangement. Juste devant mon lit –pas touche, j’ai dit !- se trouve un curieux montage fait en bois sur lequel domine une machine infernale, sûrement destinée à détruire toute forme d’intelligence chez l’être humain : la télévision. Je ne la regarde que très rarement, mais j’avoue en avoir besoin pour me détendre : regarder des émissions de TV réalités me remonte le moral, car je me dis que je suis contente d’avoir un peu plus de cervelle que les gens qui atterrissent dans des bêtises pareilles.

Maintenant à droite de mon lit, à côté du prolongement du mur, on peut se retourner pour voir la magnifique vue que j’ai citée un peu plus haut. Mais je ne me pencherai pas trop à votre place... Vous risquez d’avoir le vertige. On fait un petit demi-tour et voilà la cuisine ! Ne cherchez pas la salle à manger, il n’y en a pas, je ne mange quasiment pas et les jours où je le fais, je suis adossée au buffet de la cuisine. La cuisine est équipée et moderne, bien que je ne m’en serve qu’en de rares occasions. Le frigo est d’un blanc éclatant et les autres objets tels l’évier ou les armoires sont en acier inoxydable. Sous l’évier se trouve un petit tiroir qui contient un bric-à-brac fou : clé à molette, clés de serrure en tout genre, lapins en peluche, cuillères, des petits pots de nutella... Bref rien que des choses qui ne devraient pas être là.

Mais, me questionnerez-vous, tu te laves quand même ?! Et tu changes de vêtements, non ? Je vous conduis alors à la gauche de mon lit et vous montre une armoire, pas plus grande que moi et l’ouvre dans un silence d’or. Et oui ! Un tas de vêtements pour se changer, ce n’est pas la joie... Je demande juste de temps en temps qu’on me lave ceux que je porte sur le dos, je passe alors les heures le temps que ça se nettoie pour... glander comme à mon habitude mais pas toute nue, je vous rassure : je porte une petite serviette, ne vous inquiétez pas. Mauvaise influence de mon passé ? Hmm... Oui peut-être. Juste à côté de l’armoire une porte, toujours ouverte, qui montre ce qui me sert de salle de bains. Une simple baignoire –et bien oui, je n’aime pas les douches parce qu’il faut rester debout- qui possède un robinet en or plaqué mais qui donne une impression de luxe. Sur une petite étagère, située à un mètre du sol, se profilent différents pots d’huiles essentielles et d’herbes pour mettre dans le bain. Il ne faut pas oublier un grand miroir devant lequel je passe... une minute maximum de la journée. Les murs sont de couleur orange, ce qui étonne parfois certaines personnes qui s’étaient habituées à voir du bleu, et le sol est carrelé mais réchauffé par un hypocauste.

À côté de ma salle de bain se trouve une toute petite salle de sport qui contient les appareils essentiels : un tapis de course, un punching bal, un tas de cordes à sauter que je n’ai jamais eu le courage de défaire et évidemment un rameur digne de ce nom. Je passe une ou deux heures le matin dans cette pièce pour me dépenser à fond avant de partir travailler : j’aime m’être défoulée sur un appareil, ainsi je garde mon self-control devant les imbéciles que je suis obligée de côtoyer à mon boulot.

En résume : je gère bien mon argent et je le dépense surtout à mon confort ! Si ce n’est pas pour les autres, c’est pour moi ! Il suffit de voir mon appartement pour savoir que je claque tout mon argent dans ça et que rien ne me ferait changer d’avis... Je ne veux revivre mon passé pour rien au monde...